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Quelle est la nature du lien entre un consommateur et une marque ?

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logo Emotional Monitoring.jpgLe dernier dossier de Marketresearchnews portait sur l'efficacité des marques.

A cette occasion Marie Laurence Juan Lallier (Gérante Repères Quali) et Catherine Schutz (Directrice Associée Repères) ont eu l'occasion d'exprimer notre vision de la nature du lien qui se construit entre un consommateur et une marque : un lien fondamentalement émotionnel et individualisé, difficilement accessible via les méthodes d'études traditionnelles. 

 Voici la restranscription de leur interview conjointe menée par Thierry Semblat (*) :

Thierry Semblat : Nous posons ici la question de la performance de la marque sous l’angle de l’efficacité. Mais peut-être n’est-ce-pas le prisme que vous utilisez  spontanément ?

Marie Laurence Juan Lallier et Catherine Schutz : Il est vrai que nous posons la question selon un angle un peu différent : celui de savoir ce qu’est une marque aimée… Travailler avec nos clients historiques, comme Moet Hennessy par exemple, ou Heineken, nous a amenés à intégrer ces deux questions : qu’est-ce qui fonde ma différence vis-à-vis des marques concurrentes, et comment parvenir à capter le lien émotionnel entre ma marque et mes clients.

Les termes ne sont jamais neutres… Cela implique beaucoup de choses de poser la question ainsi, sous l’angle du lien émotionnel…

Effectivement. Le premier point, c’est que cette interrogation ne concerne pas que les très grandes marques, celles qui visent des volumétries de marché énormes ou à être leader sur leur marché, à la Danone ou Coca Cola. La question d’être aimé s’applique bien à tout le monde !

Nous nous inspirons aussi de certaines avancées scientifiques, majeures à notre sens, qui mettent très clairement en évidence l’importance décisive des émotions dans le fonctionnement du cerveau humain, et donc dans les décisions que nous prenons. Ce sont les avancées des neurosciences, avec Antonio Damasio par exemple, qui font sens pour le marketing. Ces travaux remettent en cause l’opposition entre le rationnel et l’émotionnel. L’être humain est ainsi fait que sa perception de la réalité est une construction émotionnelle. La perception des marques n’échappe pas à cela… L’enjeu pour les marques est bien de savoir comment capter et nourrir ce lien émotionnel.

Les consommateurs choisissent aussi les marques en fonction de besoins très précis, et donc en fonction des offres, des caractéristiques produits… Est-ce qu’il n’y pas le risque de ne se focaliser que sur les seules variables émotionnelles, en oubliant les dimensions transactionnelles, qui sont pourtant clés ?

Cette réalité-là, qui est celle des produits, des services et de leurs caractéristiques, s’intègre bien dans ce schéma. Elle s’intègre dans cette construction émotionnelle qu’effectue le consommateur, et à laquelle il associe aussi ce que dit la marque, les valeurs qu’elle exprime. Au fond, nous ne disons rien d’autre que cela : l’être humain qu’est le consommateur réinterprète la réalité, que ce soit celle des produits ou celle de la marque, en associant l’une et l’autre. Il ne prend pas la réalité telle qu’elle.  Il la reconstruit, dans un processus où tout interfère, y compris ses paramètres personnels : ses besoins, ses désirs du moment, mais aussi son histoire, ses expériences, ses valeurs, ses croyances. Et tout cela selon un processus très inconscient.

Les émotions sont toujours présentes, elles sont toujours mises à contribution, on le sait désormais scientifiquement. Et plus l’émotion est convoquée, plus le souvenir est fort.

L’évolution de notre société vous semble cohérente avec cette importance du lien émotionnel entre les marques et les consommateurs ?

Il y a bien une dimension sociétale à prendre en compte. En résumé, il y a un remaniement des valeurs, avec de la part des individus un très fort besoin de rassurance, une quête de sens, de repères. Et précisément, les marques sont des repères. L’histoire que le consommateur construit dans sa relation avec une marque active plein de dimensions différentes. Il y a bien sûr l’expérience, le vécu du produit ou du service. Il y a l’imaginaire de la marque : où est-ce qu’elle me transporte, avec quelles valeurs ? Cela va aussi jouer sur la relation qui s’établit avec la marque : qu’est ce que le consommateur est prêt à sacrifier pour acheter une marque. Et cela va jouer également, de façon peut-être plus inconsciente encore, sur l’aspect identitaire. Quelle image de moi la marque me renvoie-t-elle, et est-ce que cette image va être valorisante ? Utiliser telle ou telle marque n’est pas neutre sur l’identité de la personne.

On a besoin de se rassurer et de trouver des ancrages, et la marque sert à cela, qu’elle soit petite ou grande. Parce je suis en lien avec elle, la marque me transforme, elle est toujours là donc elle me rassure. Elle constitue une référence valide dans le temps. Elle me conforte alors que la société baigne dans un mouvement très anxyogène. Tout cela fait qu’il y a un réel enjeu pour les marques de sentir ce lien et de bien le construire.

En même temps, le consommateur est plus zappeur et infidèle que jamais, non ?

C’est le pendant. Plus je suis dans le flou, plus je suis en quête de sens, plus je cherche partout. Et c’est bien la force de certaines marques, de savoir varier leurs offres tout en ayant une posture qui, au fond, est très stable. Les gens peuvent zapper, mais ils savent que la marque est toujours là, un peu comme une maman. L’enjeu pour la marque est bien de savoir là où elle doit être stable.

Si l’on en vient plus précisément à la nature des études qui vous paraissent les plus à même d’aider les marques dans cette recherche d’efficacité, ou pour être plus aimées…

Sur un sujet comme celui-ci, et en partant de ces réflexions, nous avons été amenés à développer un monitoring spécifique, notre Emotional Monitoring, que l’on utilise en complément des trackings et qui a précisément pour vocation de faire le point et d’analyser ce que la marque fait au cœur de la personne. C’est avec lui que nous nous intéressons à l’âme de la marque.

Les approches « classiques » ne permettent pas de le faire ?

Non. C’est que nous disaient par exemple les équipes de Moet Hennessy quelques années en arrière : certains éclairages leur permettaient d’appréhender la personnalité de la marque, son identité profonde, mais celle-ci n’était jamais retranscrite dans les bilans d’image au travers des grilles d’items habituellement utilisées. Les approches quantitatives « aplatissaient » complètement ce qu’ils entendaient via les études qualitatives et, a contrario, ces études qualitatives présentaient la limite de ne pas suffisamment hiérarchiser les informations et, par définition, de ne pas donner de chiffres, ce qui peut gêner la prise de décision.

Ces marques avec lesquelles nous travaillons avaient besoin d’intégrer la qualité de ce lien affectif dans leurs trackings ou leurs baromètres d’image, et d’en faire quelque chose que l’on peut suivre pour mesurer l’impact des actions entreprises par la marque. Elles ressentaient aussi le besoin d’intégrer cela dans leur stratégie marketing, de façon à définir comment projeter la marque dans le futur.

Les outils « classiques » évacuent les dimensions émotionnelles ?

La plupart des outils quantitatifs, oui : on demande à l’interviewé de rationnaliser ses émotions. Les approches qualitatives appréhendent ces émotions, elles apportent cette vision projective de la marque. Mais elles ont aussi leurs limites. Avec les études de groupe, on perd à un moment le fil des histoires individuelles. Les effets de consensus et de souci de cohérence empêchent de saisir ce que les gens pensent individuellement. L’emotional monitoring travaille précisément sur les perceptions individuelles de chacun, et sur un grand nombre d’individus.

Qu’est-ce-que cet outil, que vise-t-il ?

Il ne fait pas tout. Il n’est pas là pour sanctionner, donner la vision barométrique de l’évolution de la marque sur des items. Et il n’a pas vocation à être utilisé selon un format de mesure en continu, de type quotidien. C’est un outil un peu éponge, qui va absorber deux ou trois ans de communication et d’actions marketing. Il sert à mesurer le degré d’atteinte d’une stratégie à moyen terme, sur la marque et le lien qu’elle crée avec les consommateurs. L’idée est de mesurer ce qui s’est sédimenté.

La vocation de l’outil est de mettre en relief l’identité, les points d’ancrage de la marque. On est dans un vocable très qualitatif. On va parler du fonctionnement, de la dynamique de la marque… La question est de savoir ce que le public interprète des signaux émis par la marque, avec les éventuelles  « més-interprétations » qu’il peut y avoir.

On n’est pas dans la sanction, mais dans une mise à plat hiérarchisée des menaces et opportunités pour la marque…

C’est vraiment cela. Avec cependant cette mesure de savoir si la marque, en l’espace de quelques années, a travaillé dans le bon sens. Cet outil ne vise pas non plus à définir les forces et faiblesses de la marque par rapport aux concurrents, qui sont appréhendées autrement. La question centrale est de savoir ce que la marque a de singulier, de propre, et ce sur quoi elle va pouvoir construire. On est très monadique, ce qui n’empêche pas de regarder l’autre pour mieux comprendre qui l’on est, et de mesurer quelle est la marque qui crée le lien émotionnel le plus fort avec ses clients.

Votre approche semble très qualitative, non ?

Elle est à la fois quali et quanti ! Mais, précisément, on ne veut pas être dans cette opposition entre les différentes techniques, dans ce clivage. Notre philosophie est d’apporter une réponse « études » et non une technique.

L’outil que nous proposons est résolument projectif, pour éviter précisément cette rationalisation et accéder aux émotions. Chacun s’exprime avec ses propres mots. Mais il y a bien une quantification, puisque nous travaillons sur des échantillons d’au moins une centaine de personnes. Celle-ci nous donne la solidité et la reproductibilité de l’approche. Mais elle nous permet aussi  d’atteindre une grande finesse, parce que nous disposons de beaucoup de réponses individuelles. On ne fait pas une simple codification de verbatim : on analyse l’ensemble des réponses de chaque interviewé pour appréhender sa vision de la marque.

En d’autres termes, ce sont des monographies ?

C’est exactement cela. A la base, on prend les différentes « histoires » racontées individu par individu, on procède à une lecture interprétative interviewé par interviewé. Mais si chaque vision est unique, il y a malgré tout des « visions types » qui émergent. Et l’on sait positionner chaque individu par rapport à celles-ci, et ainsi obtenir une distribution, une quantification, sur des échantillons qui comportent au moins une centaine de personne. On n’est donc pas du tout sur une étude mécanique, mais sur un process qui demande un temps d’analyse important.

A l’arrivée, on obtient ainsi une quantification des visions types de la marque, selon les grands axes qui structurent les représentations.

Comment est-ce que je mesure la performance globale de ma marque, et comment je sais sur quoi travailler ?

On sait positionner chaque interviewé dans une « vision-type » de la marque, mais on sait aussi identifier et mesurer son degré d’adhésion à cette marque, via des indicateurs projectifs. Est-ce que la personne a envie de rester dans le monde de la marque telle qu’elle l’a décrit ? Ce qui est très différent d’un jugement global, qui correspond à une sorte de moyenne très abstraite, à une rationalisation au fond peu opérante.

Et ces chiffres vont être très intéressants pour compléter la vision qualitative. Dans un sens ou dans un autre. C’est-à-dire que s’il y a une vision type de la marque à la fois très négative et fortement présente sur le marché, il va falloir la faire reculer, l’avantage étant que l’on sait très précisément ce sur quoi elle repose, y compris en termes d’expériences vécues par les consommateurs. C’est naturellement vrai dans l’autre sens : on sait quelles expériences ou quels éléments d’offre sont associés à une vision positive de la marque, et doivent donc être développés ou mis en avant.

L’outil est original : comment est-il perçu par les agences de communication ?

Avec cet outil, le fait est que l’on ne travaille pas qu’avec nos interlocuteurs études habituels. L’échange est très facilité avec les équipes en charge du marketing ou de la marque et les agences, parce que l’on n’intervient pas dans cette logique de sanction qu’ont souvent les études. On leur donne des éléments qui leur parlent, et qui sont néanmoins quantifiés, hiérarchisés. Et on peut le dire, oui, même les agences de communication nous aiment. Et on est comme tout le monde, on apprécie d’être aimé !


(*) Ce texte est reproduit ici avec l'autorisation de MarketReserachNews. Vous pourrez retrouver sur le site les cinq autres interventions autour de cette thématique : Jean-François Levionnois (LH2), Mériadec Blegent, Marion Luro Zayati et Marcel Botton (Nomen), Michael Bendavid (Strategic Research), Danielle Rapoport, Georges Lewi.

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